La beauté à l'Occidental
À quel âge vous êtes vous trouvées belles pour la première fois de votre vie ? Moi j'avais 25 ans. Oui j'ai pas mal souffert d'un grand manque de confiance en moi durant mon adolescence et le début de ma vingtaine, mais j'ai aussi été complexée à cause de mon teint de peau. Il faut savoir que j'ai grandi dans une petite banlieue du sud de Paris (94), et que nous n'étions pas énormément de noirs comparé à d'autres banlieues. Il y en avait, certes, mais bien évidemment en minorité, et si nous étions 3 dans une même classe, c'était déjà pas mal. J'ai donc été à l'école primaire et au collège (secondaire au Québec), dans cette petite ville. Le collège, c'est le début de l'adolescence, c'est le début de la recherche identitaire, des premiers ébats amoureux voire sexuels, c'est la période où il n'y a aucun filtre, où les comportements peuvent être assez méchants, bref, je ne vais pas vous mentir, ce ne fut pas ma période préférée et Dieu merci elle n'a duré que 4 ans !
Premièrement, comme beaucoup d'adolescents, j'avais de l'acné et je portais un appareil dentaire, donc pour le charme et la séduction, on repassera. Ensuite, le groupe de filles populaire de mon collège, était composé surtout de filles blanches, qui habitaient le même quartier (assez bourgeois). Ces filles-là avaient la cote auprès de tout le monde, et tu voulais donc t'en rapprocher. Enfin, c'est véritablement l'époque où je me sentais rejetée à cause de ma couleur de peau.
Durant ces 4 petites années, j'ai eu peut-être 2 crushs amoureux, le premier à 12 ans (un garçon blanc), le second à 14 ans (un garçon noir), qui m'ont tous les deux rejetée. Je voyais donc toutes mes amies blanches commencer leur vie amoureuse, et j'étais laissée de côté. En fait quand j'y pense, parmi les quelques filles noires que nous étions dans mon collège à l'époque, très peu entretenaient une relation amoureuse. La plupart des garçons, et ce, peu importe leur couleur de peau n'était attiré que par les filles blanches.
Quand je commence le lycée (équivalent du Cégep au Québec), c'est différent, je quitte ma petite ville, pour une plus grosse, et me retrouve dans un lycée plus diversifié, et situé à côté d'un autre lycée avec beaucoup de noirs. Je me sens déjà plus dans mon élément. En revanche, c'est là que je fais quelque peu face au colorisme. En effet, l'époque 2005-2008, qui correspondent à mes 3 années de lycée, c'est la période des "métisses aux yeux verts et aux cheveux bouclés". Du coup, ce sont les filles au teint le plus clair qui sont les plus populaires. J'ai d'ailleurs à ce sujet une anecdote mémorable : lorsque j'avais 17 ans, il y avait un garçon qui me plaisait bien et un jour on a daté. On s'est embrassé, et quand je lui ai demandé où est-ce que cela pourrait nous mener ? Il m'a répondu qu'il ne se voyait pas en couple avec moi, et il m'a montré une photo d'une fille au teint clair et aux cheveux bouclés en me disant "c'est avec ce genre de filles que je me vois en couple." Voilà, voilà !
Bref les années passent, je réussis tout de même à commencer ma vie amoureuse, mais beaucoup de complexes persistent, notamment à cause de mon corps mais ça j'en ai déjà parlé dans mon article sur mon rapport avec mon corps. C'est donc après un long travail mental de déconstruction de critères de beauté imposés par la société occidentale, de gain d'estime de soi, de confiance en soi et d'acceptation de soi, qu'à l'âge de 25 ans, j'ose enfin me le dire "moi aussi, je suis belle !" Toutes ces années avant ça, je me trouvais très banale voire moche, et les filles que je trouvais réellement belles, autour de moi, étaient souvent au teint clair, voire blanches. Oui, avec du recul maintenant j'en prends conscience, je jugeais la beauté des personnes sur les critères occidentaux. Je n'ai jamais ressenti l'envie de m'éclaircir le teint car je trouvais ça extrême, mais j'admirais beaucoup les filles au teint clair quand j'étais jeune, comme si, c'était ce qui faisait d'elles de "belles filles".
Et puis, au sein de la communauté noire, on a beaucoup tendance à rabaisser les personnes au teint le plus foncé, et mettre celles au teint clair sur un piédestal, phénomène relié directement à l'esclavage. De ce fait, grandir dans un pays occidental et ne pas ressembler à la majorité des habitants de ce pays, c'est tout un travail mental, c'est un véritable défi pour construire son identité, sa personnalité, pour se sentir bien dans sa peau malgré son teint "différent", pour réellement se sentir belle. Bizarrement, c'est lorsque je suis arrivée au Canada que j'ai gagné confiance en moi et que j'ai pris conscience de ma valeur et de ma beauté. Étant donné que mon arrivée au Canada était un nouveau départ, j'ai tout repris à zéro, en commençant par définir qui je suis.
En conclusion, je pense que nous sommes beaucoup à avoir pris du temps à accepter que nous ne répondions pas aux critères de beauté de la société occidentale, et que c'était donc à nous de nous imposer dans cette même société, et leur faire comprendre qu'une belle femme ne se résume pas à une femme blanche blonde aux yeux bleus.